LA RESTAURATION ÉCOLOGIQUE
UNE APPROCHE INDISPENSABLE POUR RETROUVER NOS MILIEUX NATURELS
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La dégradation des écosystèmes du Québec incite à réfléchir et à agir pour améliorer nos capacités en matière de restauration écologique. Avec comme trame de fond de grands événements internationaux comme la COP15 (15e conférence des Parties de la Convention sur la diversité biologique), favorables comme jamais auparavant à la restauration, le congrès de l’ABQ 2024 a offert une tribune pour plusieurs projets réalisés dans diverses régions et de divers types de milieux, devant un auditoire de près de 400 participants. L’engouement à ce rassemblement 2024 était éloquent et témoigne bien du développement d’une expertise grandissante en la matière au Québec. Une belle place en plénière fut d’ailleurs réservée à la relève étudiante, motivée et motivante. Ce congrès fut aussi l’occasion de souligner les 50 ans de la création de l’Association, avec la présence remarquée d’une douzaine de ses anciens présidents, dont plusieurs membres fondateurs toujours attachés à leur association.
L’un des premiers constats est que la restauration est d’abord plus efficace lorsqu’elle se déroule sur de grands territoires, mais aussi lorsqu’elle dépasse la seule discipline de la biologie pour mobiliser des connaissances en gestion de projet, en ingénierie, en phytotechnologie, en hydrogéomorphologie, en hydrologie, voire en économie, en droit, etc. Quelques histoires à succès nous ont permis d’apprécier une action de restauration coordonnée à l’échelle régionale, comme c’est le cas à Lanaudière avec un total de seize projets d’aménagement fauniques, ou encore dans plusieurs zones du fleuve Saint-Laurent grâce à l’action stratégique des comités ZIP. L’exemple du Lac Saint-Pierre est un autre exemple inspirant à l’échelle régionale. Ce joyau de biodiversité au Québec fait l’objet d’une collaboration impliquant une panoplie d’acteurs depuis plusieurs années, dans l’optique de concilier les usages et de restaurer ce territoire d’intérêt affecté par diverses perturbations.
En milieux urbains, certaines municipalités jouent un rôle de premier plan pour restaurer des écosystèmes dégradés. Des efforts en ce sens ont permis de réhabiliter d’anciens sols contaminés, de lutter contre des espèces exotiques envahissantes et de revitaliser des milieux de vie, comme au centre-ville de Trois-Rivières, au Grand Ruisseau à Terrebonne et dans les parcs du Bois-de-Saraguay et de la Pointe-aux-Prairies à Montréal.
Quant aux milieux humides et hydriques, les efforts de recherche se multiplient au Québec et retiennent l’attention de plusieurs chercheurs d’expérience. Divers spécialistes de l’Université de Concordia, de l’Université Laval, de l’UQÀM et d’organismes spécialisés (SER-EC, Canards Illimités) travaillent de pair avec les professionnels du ministère de l’Environnement, pour faire avancer les connaissances, tant pratiques que théoriques, sur le sujet. L’exemple du projet de restauration d’un cours d’eau à Saint-Robert démontre bien comment le retour d’un espace de liberté est bénéfique pour l’environnement, mais aussi pour répondre à certains défis vécus par les agriculteurs. Plusieurs intervenants ont d’ailleurs interpellé les universités afin qu’elles incluent à l’avenir plus de notions liées à la restauration des écosystèmes, de même qu’à la gestion de projets dans la formation des futurs biologistes, et vice-versa, les chercheurs souhaitant aussi une meilleure intégration des connaissances sur les concepts écosystémiques vers les projets de développement.
En milieux agricoles, les possibilités de restauration ne manquent pas non plus. Les friches et les coulées agricoles représentent des opportunités à saisir étant donné leur potentiel de connectivité écologique et leur riche biodiversité. Le projet Demain la forêt-Infrastructures vertes propose une démarche pertinente pour relever de tels défis de la restauration en zone agricole.
À propos des sites miniers, plusieurs techniques inspirantes permettent d’espérer une restauration plus efficace, comme le Rough and Loose (R&L). Les défis de la revégétalisation sont néanmoins nombreux, notamment dans le nord du Québec en raison de l’érosion éolienne et dans la forêt boréale suivant la difficulté à contrôler le drainage minier contaminé.
En milieux forestiers, l’exemple de la Nation Anishnabe du Lac Simon permet de confirmer le succès de techniques de restauration comme le scarifiage en monticule ou en continu, afin de fermer des chemins forestiers et de protéger l’habitat du caribou forestier. Les principaux défis demeurent de convaincre les communautés locales et les autorités d’appuyer ces projets pour assurer la survie d’une espèce qui nous renvoie des signaux alarmants sur nos méthodes d’exploitation des forêts. Les 14 000 kilomètres de chemins forestiers au Québec, et leurs impacts sont à bien considérer dans ce contexte.
La restauration écologique interpelle aussi l’industrie du transport. Les exemples du reboisement en lien avec l’autoroute 35, du talus de la rivière de l’Ormière en Mauricie et de la frayère en eau vive pour compenser les impacts de la réfection du pont Pie-IX, prouvent qu’il existe des moyens pour prendre soin de la nature même en contexte de développement des infrastructures routières.
Enfin, les habitats du poisson font également l’objet d’importants projets de restauration entre autres grâce au Fonds pour la Restauration des Écosystèmes Aquatiques (FRÉA) mené par le ministère Pêches et Océans (MPO). La collaboration entre le Conseil mohawk de Kahnawà:ke illustre le potentiel de co-développement entre une Première nation et une organisation gouvernementale.
Bien que la communauté d’acteurs poursuive ses efforts pour restaurer la nature, les défis sont nombreux, notamment en matière de freins légaux et réglementaires ainsi qu’en termes de financement pour le suivi et l’entretien des aménagements. Un droit spécifique en matière de restauration se développe dans l’Union européenne avec le Règlement sur la restauration de la nature adopté en 2024. Au Québec, le législateur pourrait s’en inspirer pour renforcer le cadre juridique actuel. Pour l’instant, la restauration écologique est soit volontaire, soit obligatoire afin de compenser les impacts du développement. Un droit spécifique à la restauration pourrait être élaboré, notamment en responsabilisant des acteurs régionaux et locaux en leur attribuant des compétences claires à cet effet.
Enfin, d’importantes quantités d’argent et de volonté, tant politique que de la société au sens large, seront nécessaires pour atteindre les objectifs ambitieux de la COP15, soit de restaurer 30% des écosystèmes dégradés du Québec et du Canada d’ici 2030. Le congrès aura aussi permis de s’interroger sur le niveau d’ambition de cette cible de même que sa transposition future en impacts tangibles sur le maintien des services écologiques fournis par les écosystèmes et leur biodiversité. Il reste à voir quelles seront ses réelles retombées pour cette discipline biologique relativement jeune qu’est la restauration.
Terminons sur cette note philosophique, à savoir que bien « copier la nature » soit loin d’être chose facile et qu’elle exige du temps mais que la restauration est, au final, un hymne à la beauté de notre planète, comme nous l’a bien rappelé notre premier conférencier d’ouverture, monsieur Réjean Dumas. Selon toute vraisemblance, nous, biologistes, serons interpellés à y contribuer, et de plus en plus, dans les prochaines années.
Compte-rendu produit par le comité organisateur du congrès 2024